Il y a dix ans... à Toulouse
Le 19 mars 2012 je m’apprête à entrer en réunion dans les locaux de Toulouse Métropole, une commission urbanisme.
Je croise sortant de la salle Dan Benyahia, la mine défaite. Il m’annonce l’impensable, une école attaquée. Il s’en va rejoindre le lieu du drame.
A ce moment là ma secrétaire me téléphone. Elle est effondrée me dit que des tirs se sont produits devant une école juive. On n’en sait pas plus. J’espère que ce n’est pas si grave et bien que soucieuse je m’installe pour mener à terme cette réunion.
Plusieurs autres élus sont présents on termine ce travail en apesanteur. Nous ignorons encore le bilan de l’abominable réalité.
Je rentre au capitole.
Je retrouve deux collègues. On erre dans les lieux ne sachant quoi faire, quoi penser.
Peu à peu on apprend ce qui est arrivé, on téléphone à quelques collègues sans obtenir de réponse.
On va voir les collaboratrices du service de la communication. On tente d’en savoir plus par les chaînes d’info continue.
On sait que le maire Pierre Cohen est sur place, Nicolas Sarkozy le président de la République et le premier ministre aussi.
On prend alors conscience que cela doit être bien plus grave que ce que nous craignions. En début d’après midi on sollicite un chauffeur pour nous amener à l’école Ozar-Hatorah. Je ne connaissais pas cette école et ignorais aussi sa localisation. Je constate alors que ma fille habite tout prêt.
On arrive sur le lieu de l’horreur. Un monde fou, dans la cour. Des élèves, leurs parents en état second, sidérés, anéantis se tenant chaleureusement dans les bras, on aimerait les consoler un par un..
Des membres du CRIF, de la communauté juive sont bien sûr présents, ainsi que Martin Malvy, Gérard Onesta respectivement président et vice président de la Région, des élus de toutes collectivités de tout bord tous autant sidérés, défaits. Nicolas Sarkozy parti, François Hollande arrive. Il est candidat à la présidence de la République.
Tout ce monde se parle, se croise, se console et pleure.
J’ai l’impression de voir des pantins mécaniques ? Tout est irréel.
François Hollande nous réunit dans une salle de l’école au 1er étage.
Nous sommes côte à côte , les responsables de l’école, le CRIF, les élèves, leurs parents, des élus…
Quelques mots de réconfort, de retenue, dérisoires en ces moments mais si utiles.
Nous nous retirons et descendons dans la cour.
Je croise la présidente du CRIF Nicole Yardéni. J’ai un irrésistible besoin de lui témoigner ma compassion, mon désespoir aussi. Elle accueille mes mots avec gentillesse.
En fin d’après midi nous sommes invités à une cérémonie à la synagogue. Ma secrétaire m’accompagne, beaucoup d’élus sont présents...
Autour du rabbin, Martin Malvy, Pierre Izard, président du CG31, Pierre Cohen et le préfet, je ne sais plus…
Cette cérémonie religieuse devient œcuménique…
Bien qu’athée je me fonds dans cette communion portée par la voix du rabbin.
Je suis juive.
Dans les jours qui ont suivi on ignore toujours qui et pourquoi ces meurtres barbares ont été perpétrés. Le ministre de l’intérieur réside à la Préfecture.
Autour de moi beaucoup se confondent en analyses, décryptages considérations diverses.
Dès le lendemain la presse s’interroge « on ne sait même pas si c’est un crime raciste »… Pour d’autres ce ne peut être un crime antisémite, Il n’y a pas d’antisémitisme en France, à Toulouse non plus !
Je n’adhère pas à ces dénis.
Lorsque des enfants sont exécutés un par un, leur parent avec, parce que juifs, cette barbarie ne peut être que le fait d’antisémites.
Bien sûr des enfants sont assassinés au quatre coins de la planète, bien sûr...Mais en France en 2012 depuis quand n’a-t-on éliminé un enfant parce juif ? La réponse s’impose : depuis la seconde guerre mondiale…
La suite, nous éclairera même si la réalité est encore plus sordide et complexe.
Ce 19 mars, la foudre s’est abattue, faisant éclater en mille morceaux nos certitudes, notre inconscience. Oui je me sens foudroyée.
L’impensable s’est produit, l’inadmissible nous a rattrapé.
Des marques de soutien arrivent le lendemain, des amis éloignés, des partenaires européens avec lesquels je collabore comme le réseau des villes européennes comme la mairie de Berlin…
Aucune manifestation nationale n’aura lieu, on n’a pas encore pris l’habitude…
Une magnifique manifestation toulousaine avec des personnalités diverses nous amènera jusqu’à la rue Jules Dalou, Ma fille et son compagnon y seront avec leur bambin de 1 an et demi….
Depuis, je suis d’autant plus réactive et intolérante à toutes marques, mêmes infimes, d’antisémitisme.
Des signaux forts de cet antisémitisme sont apparus auparavant notamment Ilan Halimi et ensuite…
Ensuite nous sommes allés de sidération en sidération. Au delà des meurtres antisémites, ce sont des attaques contre la République, contre nos valeurs...La tuerie de Charlie Hebdo, le meurtre de Montrouge, l’hyper casher. Les morts succèdent aux morts avec les attentats dits du 13 novembre… D’autres attaques ensuite et ailleurs et Samuel Paty.
Le 11 janvier 2015, 44 chefs d’état et de gouvernement participent à Paris à une marche républicaine, 1 million et demi de personnes en font autant et plus de 4 millions en France…
Autant de séismes, autant d’évènements tragiques qui blessent notre société. Du « jamais vu »...
Qu’a-t-on appris depuis ? Notre culte français de la mémoire ne nous a pas préservé de ces horreurs… Nos maux d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Et celles à venir ?
Va-t-on sortir de l’antisémitisme ? De la xénophobie ?
« Face à l’antisémitisme, nous sommes tous juifs »
Barak Obama
Nicole Dédébat, mars 2020
Conseillère municipale Imagine Saint-Lys
Adjointe au maire de Toulouse (2008-2014)